Frédéric Thomas

  • Maïs sous plastique en Bretagne
23
juillet
2012

Des fleurs dans les couverts pour nourrir les abeilles et sauver les apiculteurs !

Le froid et surtout l’humidité du printemps et de ce début de l’été n’ont pas été propices pour les semis, les foins, les céréales mais aussi pour les fleurs et les abeilles. A ce titre beaucoup d’apiculteurs ont un peu le bourdon en regardant leurs ruches dépérir en ce début juillet avec pas ou peu de récolte de miel en perspective.

En faite cette dure réalité montre encore une fois, pour les abeilles comme pour l’activité biologique du sol et d’une manière générale pour le vivant, que c’est avant tout la quantité, la qualité et la diversité de la ressource alimentaire qui prime. Les phytos, souvent mis en avant, et dans ce cas les insecticides, ont certes des impacts négatifs pour toute cette activité biologique périphérique mais utile. Mais c’est l’ensemble des pratiques agricoles qui conduisent à avoir des milieux plus ou moins accueillants voire complètement hostiles à l’activité biologique : un champ de blé ou un foin fauché, ne sont pas propices aux abeilles. A ce titre, passer le reste de l’été à déchaumer et laisser un champ « propre » et nu, c’est fortement perturber l’activité biologique du sol mais aussi oublier les auxiliaires et les abeilles alors qu’implanter un couvert c’est apporter de la biomasse, des fleurs et de la nourriture de choix à une époque où elle se fait rare : une forme de compensation écologique rentable agronomiquement et appréciée par beaucoup.

Si les spécialistes parlent de « jachères apicoles », nous avons pris l’habitude d’implanter entre 2 céréales ou entre une paille et une culture de printemps des « biomax » de 5 à 12 espèces qui répondent parfaitement aux besoins des abeilles en terme de qualité de fleur, de diversité mais également d’étalement de la floraison sur la durée, de la fin de l’été à l’automne. Si les moutardes, les radis fourragers sont convenables, les tournesols, la phacélie, les vesces, les trèfles, les pois et le sarrasin sont des fleurs très mellifères qu’il ne faut pas hésiter à mettre. Attention cependant pour le sarrasin qui doit seulement être utilisé avant des cultures d’hiver ou des orges de printemps car la relevée de graines peut être ennuyeuse dans les maïs, betteraves ou tournesols qui suivent.

En complément l’association de cultures comme pour le colza (semis avec des plantes compagnes : cf. article de TCS) est une opportunité supplémentaire de mettre d’autres plantes et d’autres fleurs dans les champs. La lentille, la gesse, le nyger, le fenugrec et encore le sarrasin sont ici de parfaits candidats. En plus de tenir les adventices en respect, réduisant voire supprimant le désherbage, de perturber et/ou de leurrer certains insectes ravageurs (limitant ainsi le recours aux insecticides d’automne) ou de fixer de l’azote, ces plantes compagnes vont également être très favorables aux abeilles : un double argument supplémentaire qui plaide encore plus en faveur des colzas associés.

Ainsi l’agriculture « céréalière » et l’apiculture ne sont pas en opposition, bien au contraire elles ont des besoins et des bénéfices réciproques. A ce titre, les couverts végétaux comme les cultures associées développés par les réseaux TCS et SD peuvent être de formidables liens mais aussi des exemples d’approches collaboratrices positives balayant tous les débats et les polémiques au second plan. Cet été et cet automne, en semant vos couverts végétaux et vos colzas pensez à vos vers de terre bien entendu mais pensez aussi aux abeilles. Elles en ont particulièrement besoin cette année avec les conditions météo : elles apprécieront beaucoup, tout comme les apiculteurs.

Le positionnement de plantes compagnes avec le colza, outre les multiples avantages agronomiques et les économies que cela peut fournir, est un excellent moyen d’apporter de la diversité floristique dans des plaines souvent un peu mornes (désert vert) et d’encourager une bonne population de pollinisateurs tout comme une plus grande biodiversité fonctionnelle.

Production de pollen et de nectar (en kg/ha) de quelques espèces :
- Moutarde : 50-100 kg/ha
- Navette : 100-200 kg/ha
- Phacélie : 200-500 kg/ha
- Trèfle incarnat : 50-100 kg/ha
- Vesce : 50-100 kg/ha
- Sarrasin : 50-100 kg/ha
- Luzerne : 200-500 kg/ha


3
mai
2012

Plantes compagnes en colza : l’approche se démocratise

Colza associé à de la lentille, du nyger, du sarrasin dans le Loir-et-Cher en septembre 2011.

En 2004, ce sont des colzas (installés comme complément dans des mélanges sur une plate-forme de comparaison de couverts BASE dans le 56) qui nous ont interpelés : peu présents à l’automne, voire décevants, nous ne pensions pas continuer à les inscrire dans les mélanges. Cependant au printemps, après la destruction par l’hiver des autres plantes, la surprise a été de retrouver des bandes de colza quasi aussi avancées et régulières que dans les champs voisins.

En 2005, un premier essai en Alsace, réussi même s’il n’a pas été jusqu’à la récolte, confirme le bien-fondé de cette stratégie et corrobore de nouvelles observations sur une plate-forme de couverts, toujours en Bretagne. Il apparaît cependant que ce sont les légumineuses qui sont les meilleures plantes d’accompagnement : à l’automne elle boostent littéralement la crucifère sans vraiment exercer de pression bien au contraire.

Ces deux campagnes suffisent pour convaincre et l’idée est lancée dans les réseaux TCS et SD qui rapidement essayent, adaptent et confirment l’intérêt d’associer des plantes compagnes au semis du colza.

Le Cetiom s’investit également dans la dynamique, en la personne de Gilles Sauzet qui travaille depuis de longues années sur la problématique désherbage. Avec des suivis d’essais agriculteurs et des expérimentations, il apporte des mesures qui certifient l’intérêt de cette approche et contribue même à divulguer un mélange type (GFL : Gesse, Fenugrec et Lentille). Progressivement, année après année, malgré des grandes variations de conditions climatiques, la majorité des résultats confirment que cette voie est non seulement intéressante pour limiter le salissement mais aussi pour économiser en azote voire gagner en rendement et bien sûr développer l’auto-fertilité du sol.

Si beaucoup de TCSistes on adoptés cette innovation et ne sèment déjà plus de colza sans accompagnement, l’idée commence à faire son chemin chez les conventionnels et les bios. Mais c’est l’arrivée de publicités pour les plantes d’accompagnement dans la revue TCS (N° 66 et 67) qui constitue un vrai tournant. Cela signifie que le conseil et la distribution sont en train de s’accaparer également le concept avec maintenant la possibilité de proposer aux agriculteurs deux solutions « commerciales » : soit un bidon de désherbant, soit un sac de semences compagnes. Si la dépense peut être au final identique, cette ouverture et la possibilité du choix qui va pouvoir maintenant être proposé au plus grand nombre est vraiment une énorme avancée qui sans nul doute enclenchera chez beaucoup une réflexion, un déclic : « si l’on peut faire différemment et surtout avec une orientation et une sensibilité plus écologisante avec le colza, pourquoi pas modifier d’autres pratiques comme par exemple le travail du sol ? »


28
février
2011

Bilan, acquis et perspectives

Avec ce numéro spécial Sima, qui marque également les douze ans de la revue TCS, il est intéressant de faire une petite rétrospective, de considérer les acquis mais aussi et surtout de se projeter dans l’avenir. Si dans ce laps de temps relativement court, nous avons énormément évolué dans nos approches et techniques, nos conditions de production et surtout notre environnement socio-économique ont eux, en revanche, complètement changé. Nous sommes passés d’une période de pléthore, où les ressources semblaient, encore pour beaucoup, inépuisables avec une production agricole en excès chronique qui pesait sur les cours, à un monde où rareté est en train de devenir le maître mot. Rareté des ressources, de l’énergie mais aussi des engrais comme de beaucoup de matières premières mais aussi rareté des produits agricoles qui affolent les marchés largement amplifiés par la spéculation financière. Nous sommes aussi passés d’une période de stabilité relative permettant de prévoir, à beaucoup de volatilité à la hausse comme à la baisse. Dans ce nouvel environnement où les règles changent très vite, il faudra plus que jamais continuer de produire tout en maîtrisant au mieux les coûts de production : situation qui renforce l’intérêt de l’agriculture de conservation dont la cohérence ne cesse de se consolider. Sur cette période, nous avons tout d’abord évolué du non-labour ou semis direct à des interventions plus précises et ciblées. Aujourd’hui nous ne sommes plus dans la suppression des interventions mais dans le raisonnement en fonction des conditions de sol et de culture. À ce titre, le strip-till, qui était en Amérique du Nord le moyen de sécuriser les implantations de maïs et dont nous avons soutenu le développement, est en train d’exploser en France. Beaucoup de producteurs de maïs mais aussi de tournesol et dans une moindre mesure de betterave ont progressé grâce à cette approche mixte avec un panel d’outils et de solutions techniques aujourd’hui largement élargi. L’impact et l’engouement sont encore plus forts en colza où le strip-till apporte tellement de sécurité d’implantations et de réussite qu’il est même en train de faire basculer des agriculteurs conventionnels vers la simplification du travail du sol.

Si l’économie de carburant et de mécanisation reste l’une des principales motivations de la simplification du travail du sol, elle ouvre les portes vers des systèmes globalement beaucoup moins énergivores. Avec les couverts, les légumineuses en mélanges, en associations et en cultures, les économies d’azote (la plus grande source de consommation énergétique de l’agriculture française), sont de plus en plus significatives. La valorisation des couverts et des dérobées pour les éleveurs, tout comme la limitation de l’évaporation de l’eau grâce au mulch laissé en surface apportent aussi des économies complémentaires de fourrage, de protéines, d’eau et donc d’énergie. Bien que l’acquis soit déjà conséquent, il nous reste encore beaucoup de sources d’économie complémentaires dans la fertilisation, la valorisation des effluents d’élevage, le transport avant de penser à réellement produire de l’énergie, une orientation tout à fait complémentaire. Que ce soit sous l’angle ressource ou pollution, l’énergie risque bien de devenir un élément central et les bilans économiques de nos entreprises agricoles vont inexorablement se rapprocher des bilans énergétiques.

Au départ, TCS pouvait aussi signifier techniques de conservation des sols mais avec le recul, nous avons progressivement évolué vers des impacts environnementaux plus globaux. Déjà, dans beaucoup de cas, il ne s’agit plus de préserver mais de redonner vie aux sols en les protégeant mais aussi en laissant à leur surface une nourriture abondante et variée. Le vocabulaire s’est également adapté pour traduire notre nouvelle perception. Ainsi on ne parle plus de structure mais d’organisation structurale, ni de fertilité mais de volant d’autofertilité. L’agriculteur devient progressivement un « éleveur » de sol sachant que plus celui-ci sera en santé, plus il pourra retirer, sans risque, le travail mécanique mais aussi réduire beaucoup d’autres intrants. En complément et si notre quête pour plus de matière organique nous place comme des acteurs qui, aujourd’hui, séquestrent plus de carbone qu’ils en émettent, la recherche de sols vivants nous a conduits des vers de terre à la biodiversité fonctionnelle. Ainsi, les carabes ont commencé à gérer les limaces, les syrphes et les érigones encouragés par les couverts s’occupent des pucerons et les renards, rapaces et hérons tentent de réguler les campagnols. Ce ne sont là que quelques exemples qui reviennent souvent dans nos réflexions mais qui montrent bien ce changement fondamental de considération du vivant au sein et en périphérie des parcelles agricoles. Encourager la vie et la diversité biologique nous apporte en retour d’importants bénéfices difficilement quantifiables et dont nous ne sommes pas encore assez conscients. La nature finira toujours par imposer dans les champs la diversité que nous refusons d’apporter. Plutôt que de lutter, il est beaucoup plus judicieux mais aussi économique, même si cela peut sembler plus compliqué à première vue, de comprendre les relations naturelles et le fonctionnement des écosystèmes pour les accompagner plutôt que de rester dans une stratégie de lutte et de conflit.

Sur cette période, nous avons aussi fait des couverts, trop considérés comme une contrainte, des outils agronomiques performants. En passant de l’approche Cipan, avec de la moutarde ou de l’avoine pour une production de matière sèche réduite, au concept « biomax » avec des mélanges, qui dépassent facilement les 5 à 6 t de MS/ha pour atteindre 10 t de MS/ha, les couverts sont devenus, plus que des recycleurs d’azote, des promoteurs de fertilité. Ils permettent ainsi de redresser rapidement l’état physique et organique des sols, nourrissent leur activité biologique, facilitent la gestion du salissement et la pratique du semis direct tout en développant l’autofertilité surtout lorsque les mélanges contiennent des légumineuses. Bien que l’approche soit aujourd’hui relativement bien cadrée et maîtrisée, il reste encore beaucoup d’espèces intéressantes à tester et à valider pour continuer de nous diriger vers le concept de « plante outil agronomique ». Il faut enfin signaler que c’est aussi le développement de couverts performants qui a encouragé les réflexions sur le roulage comme moyen de destruction économique et efficace qui est une technique de mieux en mieux maîtrisée et qui commence même à se développer dans les milieux conventionnels.

Côté fertilisation et après de réels soucis de faim d’azote, nous avons développé le concept de l’autofertilité : restaurer le statut organique des sols séquestre aussi momentanément de l’azote. Ce phénomène est d’autant plus sévère que la suppression du travail est totale et que la fertilité de départ est limitée. Mais nous avons appris à contourner cette difficulté par une anticipation des apports, une surfertilisation ponctuelle, des légumineuses dans les couverts et la rotation. Avec suffisamment de recul, le retour sur investissement est cependant bien réel et les économies significatives. En complément, la localisation de la fertilisation, au regard du dossier de ce TCS, peut certainement encore nous permettre de progresser dans l’accompagnement précoce des cultures et de continuer à gagner en efficacité avec des bénéfices complémentaires intéressants comme en matière de gestion du salissement. Enfin concentrés sur la matière organique et l’activité biologique, nous avons certainement trop laissé de côté les aspects chimiques et surtout les oligo-éléments et les notions d’équilibre que nous devons réintégrer dans nos recherches et raisonnements en matière de fertilité.

Pour ce qui est du salissement, nous sommes passés d’une contrainte de désherbage à l’agriculture écologiquement intensive (AEI). C’est certainement dans ce domaine que nous avons enregistré les plus gros progrès ces dernières années. Si l’adaptation des rotations avec des légumineuses et le concept 2/2 a apporté des solutions concrètes en matière de gestion du salissement, l’association des cultures avec des plantes de service est une véritable révolution qui est en train de s’étendre comme une traînée de poudre avec le colza où les itinéraires commencent à être relativement bien validés. Récolter plus avec moins de travail, moins d’engrais et de phyto est maintenant une réalité dans les parcelles, une orientation et une réussite qui illustrent bien ce qu’est l’AEI et démontrent tout son potentiel. Si nous avons trouvé en grande partie les cocktails de plantes à associer avec le colza, beaucoup d’autres cultures sont encore orphelines et montrent l’ampleur de la tâche mais aussi des bénéfices qui nous attendent dans ce domaine.

De l’approche très céréalière des débuts, l’AC débouche aujourd’hui sur des systèmes encore plus performants en élevage. Bien que la surface exploitée multiplie les économies de temps et de mécanisation, l’élevage introduit d’autres paramètres et options très complémentaires. La meilleure intégration des produits organiques avec le mulch mais aussi la portance des sols permet de mieux valoriser et de transformer les effluents en engrais de ferme limitant par la même occasion les soucis de faim d’azote. Le remplacement des couverts par des dérobées ou des méteils apporte plus de nourriture diversifiée à moindre coût aux troupeaux ce qui, de plus, permet de dégager des surfaces en cultures de vente. Enfin, le semis direct autorise sans risque de recharger ou cultiver les prairies voire de concevoir des approches de production fourragère sur couvert permanent extrêmement performantes. Nous avons dans ce domaine encore beaucoup à faire avec d’importantes sources de progrès.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous pouvons être assez satisfaits du parcours et des progrès qui font aujourd’hui de l’agriculture de conservation une orientation technique sécurisée et à portée d’un grand nombre d’agriculteurs. C’est parce que nous avons accepté de nous éloigner des approches un peu simplistes du départ que nous avons pu nous ouvrir à d’autres raisonnements, sources d’idées et d’innovations. Si la simplification du travail du sol a été et restera pour beaucoup une porte d’entrée motivante, le moyen de renverser un mode de pensée établi, ce n’est plus l’objectif central mais un élément majeur du système, un outil permettant de mettre en place des modes de gestion plus performants. Ainsi avec ce recul, notre orientation s’est bien étoffée, fortement enrichie et correctement calée grâce aux expériences et observations de tous, tout en glissant progressivement vers une approche plus globale de recherche d’efficacité basée sur le mimétisme des milieux naturels : un domaine extrêmement riche et diversifié par définition où il nous reste encore beaucoup à apprendre pour continuer de toujours progresser ensemble vers plus d’efficience.


4
janvier
2011

Il n’y a pas que les cours des céréales qui grimpent !

Alors que nous avons tous les yeux étincelants rivés sur l’évolution des cours des marchés des céréales, une autre réalité plus insidieuse est en train de nous rattraper : les cours des intrants et entre autre de l’azote sont eux aussi en train de grimper. En l’espace de 6 mois l’ammonitrate de base a pris au moins 100 €/t pour des prix qui dépassent aujourd’hui facilement 1euro/kg. Cette augmentation représente aussi une facture supplémentaire d’environ 2500 € de plus sur un camion d’engrais ou un surcoût de production d’environ de 7 à 10 €/t de céréale. Rien que cela et il ne s’agit que de la partie engrais azoté.

Ainsi et contrairement à tous ceux de la profession qui aujourd’hui encore refusent les couverts végétaux et boudent les cultures de légumineuses, il vaut toujours mieux d’être conscient des enjeux avenir, d’anticiper et de continuer d’investir dans un solide PEA (Plan d’Epargne en Azote) au travers de couverts biomax performants, de TCS et SD efficaces mais aussi de rotations adaptées intégrants si possible des légumineuses en solo ou cultures associées afin de capitaliser sur des économies solides et durables et dégager une bonne marge plutôt que de subir les revers de la médaille.


21
décembre
2010

Conviction, expérience et connaissance (édito du TCS n°60)

Loin des effets de modes, les TCS et le SD sont progressivement en train de s’inscrire durablement dans le paysage agricole français. Les articles, les démonstrations, les rencontres et les formations se multiplient avec toujours plus de participants et cette véritable lame de fond, initiée au départ par des agriculteurs, commence à trouver une adhésion dans la recherche, les instituts, les syndicats, les chambres d’agriculture et même quelques grands groupes coopératifs. Cet engouement est certainement le début d’une véritable mutation qui s’amorce au sein de l’agriculture entretenue par une réussite dans les champs qui devient incontournable, par l’émulation et l’innovation des réseaux TCS qui commencent à mettre en œuvre le concept d’AEI (agriculture écologiquement intensive) et par la cohérence agronomique, économique et environnementale de plus en plus mesurée et reconnue de cette approche.

Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y a une bonne vingtaine d’années, il fallait avoir une solide conviction pour s’engager dans cette voie que beaucoup critiquaient sans même en connaître l’étendue ni le potentiel. Il fallait être convaincu des aspects négatifs du travail du sol, convaincu des économies de mécanisation et d’énergie et convaincu que ce n’était tout simplement pas durable de continuer à travailler de la sorte. C’est, seule, cette conviction associée à beaucoup d’audace qui a permis aux pionniers de s’engager vers les TCS et le SD, de produire vraiment différemment, d’en accepter les difficultés tout en affrontant le regard des autres.

À cette époque, les références étaient, elles aussi, très limitées comme souvent les approches techniques où la suppression de tout ou partie des interventions mécaniques devait suffire à retrouver un équilibre favorable. Le peu d’expériences auxquelles il était possible de se raccrocher arrivait avec des machines spécifiques principalement des États-Unis et du Brésil où les agriculteurs, confrontés à de graves soucis d’érosion, avaient dû réagir avant nous. Cependant, et avec les années, en apprenant des erreurs et des échecs et en capitalisant sur les réussites, une solide expérience locale s’est mise en place. Elle s’est progressivement enrichie d’autres ingrédients stratégiques comme l’intégration de couverts végétaux performants, la modification des rotations et plus récemment l’association de cultures et la localisation de la fertilisation. Le revirement de situation est tel que nous commençons aujourd’hui à produire de solides références qui confirment le bien-fondé de l’orientation et que des pays voisins nous convoitent maintenant. Les approches techniques se sont certes sophistiquées comme les équipements, mais aujourd’hui l’expérience acquise permet d’accéder à un niveau de réussite dans les parcelles qui fait vraiment envie. Ainsi, la question qui revient le plus souvent dans les campagnes n’est plus « Pourquoi le non-labour ? » mais « Comment puis-je m’engager dans cette direction ? ». Si tout n’est pas parfait et que des progrès existent encore, les itinéraires commencent à être bien balisés avec des équipements performants qui devraient permettre à un nombre croissant d’agriculteurs d’accéder rapidement aux TCS et au SD avec un certain confort et un minimum de risques.

Enfin, le niveau de connaissances sur l’organisation structurale et la vie du sol, la matière organique, les flux d’azote et d’éléments minéraux était aussi très rudimentaire et simpliste à l’époque. Grâce aux TCS et au SD, nous avons énormément appris dans ce domaine, nous avons redécouvert et mis au goût du jour les fondamentaux de l’agronomie et commencé à apprécier la formidable complexité tout comme la grande cohérence du vivant. Cette compréhension nous a permis de progressivement passer d’une stratégie de production, où les piliers étaient l’imposition et la lutte, vers une approche plus douce où l’objectif est plutôt de piloter et de valoriser les relations et l’énergie du vivant. Ainsi, l’écologie en tant que science et non idéologie est en passe de devenir l’intrant majeur de nos systèmes et de l’agriculture de demain. Mais face à ces enjeux, nous mesurons aujourd’hui encore plus notre ignorance et notre besoin de connaissance sur le sol, les interactions entre plantes, les relations ravageurs/auxiliaires ou l’allélopathie. La recherche agronomique a donc ici un rôle essentiel à retrouver en tissant une collaboration active avec le terrain.

Au regard de cette évolution, et même si nous l’aurions souhaitée plus rapide, nous pouvons être satisfaits voire fiers du parcours et surtout de l’impact et de la dynamique que cela est en train de générer au sein de l’ensemble du tissu agricole français. Cette réussite, qui est l’œuvre de tous, ne peut que renforcer notre conviction restée intacte. Cependant l’agriculture de conservation, c’est d’abord se mettre en mouvement et en quête permanente de plus d’efficience : l’expérience est un chemin personnel que chacun doit emprunter. Malgré toutes ces années, personne n’a encore atteint un système vraiment abouti mais tout le monde continue de progresser et de tendre à son rythme et selon ses sensibilités vers une agriculture plus productive, plus économe et plus en harmonie avec la nature au gré des expériences et de l’acquisition de connaissances qu’il nous faut continuer de mutualiser.

Avec cette réflexion, toute l’équipe de TCS vous souhaite une bonne année 2011.


10
décembre
2010

Un concours de labour pas comme les autres

Photo : Hayes Pulling - wikimedia commons

Allez voir cette vidéo. Plus réaliste et agricole que le tracto-pulling, les Danois ont mis au point une autre spécialité de « sport agricole » : le labour rapide. Cette vidéo peut faire sourire et si ce type de sport mécanique satisfait une frange de la population et permet à certains agriculteurs d’exprimer leur goût pour la puissance et la mécanique, passe encore. Cependant cette vidéo soulève certaines questions de fond :

- Bien que l’épreuve consiste à « labourer » une surface donnée en un minimum de temps, aucune contrainte quant à la qualité du travail ne semble imposée. Aller vite, surtout en matière de travail du sol, nous éloigne souvent du bien et du bon ; pauvres vers de terre et pauvre activité biologique : comment peuvent-ils survivre à ce qui n’est même plus du travail du sol mais un véritable tsunami.

- La vitesse exige toujours beaucoup plus de puissance, et donc d’énergie, qui contrebalance souvent les gains d’efficacité sur le temps. La vitesse implique également d’énormes contraintes mécaniques qui demandent plus de robustesse et entrainent plus d’usure et de casse sans parler du dos du chauffeur.

- Le dernier élément qu’inspire cette vidéo est le paradoxe entre cette débauche d’énergie, de bruit, de fumée, de brutalité et les éoliennes que l’on aperçoit paisiblement tourner dans le fond. Cette image montre bien le peu d’évolution dans les réflexions où le développement des énergies « renouvelables » permet souvent de se donner bonne conscience et de continuer de consommer comme avant, même plus. Cette option « renouvelable », beaucoup plus visible et médiatique, qui s’appuie seulement sur de la substitution est de loin beaucoup moins performante et durable que la recherche d’économies qui même si elles sont beaucoup moins visibles, sont quand à elles durables.

Nous conseillons donc à tous ceux qui sont encore un peu trop adeptes de ce type de sport de regarder d’autres vidéos sur notre site. Elles sont beaucoup plus calmes, reposantes, fleuries et surtout respectent tout les milieux ou les environnements (le sol, l’air et l’eau). Même le paysage est préservé car on peut se demander si l’éolienne est nécessaire à la vue des économies d’énergies réalisées. A quand les concours de semis avec un minimum de carburant ? Cela existe déjà pour les véhicules routiers (course ou l’objectif est de parcourir un maximum de distance avec seulement un litre de carburant) ?